Correspondance de Léon Martin, un patrimoine épistolaire « français » au Mexique

par Feschet, Valérie

Correspondre entre la France et le Mexique.

Les liens entre la Colonia francesa du Mexique et la France ne se sont pas relâchés avec le temps. Depuis une vingtaine d'années, parallèlement à un processus de « mexicanisation » des immigrants français de deuxième et troisième générations, les contacts ont même tendance à s'intensifier. Cet attachement au « Pays » d'origine n'est pas étranger aux évocations nostalgiques des premiers immigrants à l'égard des personnes et des lieux qu'ils ont quittés. La correspondance de Léon Martin offre un témoignage historique et anthropologique, mais aussi littéraire, du sentiment de perte des « Barcelonnettes » émigrés au Mexique au XIXe et au début du XXe siècle. S'il ne s'agit pas de poésie au sens strict, la nostalgie exprimée dans ces lettres prend souvent une tournure artistique dont la puissance d'évocation participe de la mise en patrimoine de la mémoire collective.


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Léon Martin, émigrant français au Mexique

Les Provençaux originaires de la vallée de Barcelonnette dans les Alpes de Haute Provence (en France) ont massivement émigré au Mexique au cours des XIXe et XXe siècles (NOTE 1). Si beaucoup rentrèrent au « pays » après avoir travaillé quelque temps dans le négoce du tissu, nombreux sont ceux qui s'installèrent définitivement au Mexique, constituant dans leur pays d'accueil une communauté importante, la Colonia francesa (NOTE 2). Cette communauté bien en vue, qui était parvenue à se doter d'institutions fortes, eut un développement politico-économique remarquable, notamment en raison de ses liens avec l'appareil d'État mexicain. La mémoire de cette immigration a surtout retenu les réussites ostentatoires de certains valéians (habitants de la vallée), les immenses fabriques de tissu, les magasins aux architectures opulentes, les luxueuses villas construites par les « Mexicains » à leur retour en France. Le témoignage de Léon Martin apporte un éclairage différent. Ses lettres témoignent de la petite histoire du Mexique, de celle de ces « pauvres gamins », comme il les décrit lui-même, qui se font exploiter par des patrons souvent très durs avec leurs compatriotes. Elles livrent surtout des évocations d'une justesse surprenante sur le sentiment de perte, complétant ainsi les études existantes qui n'ont pas laissé beaucoup de place à la « dimension psychologique » de cette émigration (selon l'expression de Pierre Martin-Charpenel) (NOTE 3).

Léon Martin en 1901

Léon Martin est tiraillé entre l'espoir de réussir au Mexique et la nostalgie de son pays d'origine. Les premiers mois de travail sont durs. Le salaire décevant. Son isolement et son enfermement dans le magasin, lui qui a toujours vécu « au grand air » à « courir les montagnes », ne l'aident pas à s'adapter. Il traque tous les indices qui démontrent à ses parents (et à lui-même) que la situation n'est peut-être pas aussi intéressante qu'on se l'imagine. À chaque occasion qui lui est donnée, il évoque les « jeunes » qui arrivent de « cette pauvre vallée de Barcelonnette » et exprime sa consternation par rapport à leur naïveté de croire qu'ils seront plus heureux sur le nouveau continent. Il laisse parfois aller sa colère face à ces « jeunes gamins », « bien petits tous », « si faibles », qui se laissent prendre au piège de la fortune. Il est pourtant à peine plus vieux qu'eux.

Léon Martin est né le 2 juillet 1884 dans un petit hameau situé à l'ubac de Barcelonnette. Il s'embarque pour le Mexique le 21 septembre 1902, à l'âge de 18 ans, sur un coup de tête, après avoir discuté avec un riche « Mexicain », en visite dans la vallée, qui a su trouver les mots pour le convaincre. Il sera finalement employé à Las Fabricas Universales, un des grands magasins français de tissus et de nouveautés à Mexico. Comme la plupart des habitants de la vallée de l'Ubaye, historiquement très alphabétisée, Léon Martin a reçu une bonne instruction. Il manie parfaitement l'écriture de la langue française, ce qui lui permet de rédiger des lettres précises et nuancées, retraçant avec une finesse de détails sa vie et ses émotions. Ses lettres se présentent sous la forme d'une feuille grand format à l'entête du magasin rédigée recto verso et sur le côté. L'écriture est très posée, dense. Il écrit le dimanche après-midi (seul jour de repos), tous les quinze jours en moyenne. Entre le 21 septembre 1902, date de la première lettre rédigée à Saint-Nazaire la veille de son embarquement, et le 23 janvier 1905 (15 jours avant son décès (NOTE 4)), il adressera une soixantaine de lettres à ses parents, à sa jeune sœur et à son frère Joseph.

 

Nostalgie et poésie épistolaire 

Les lettres de Léon Martin. Une écriture dense et appliquée

Tout au long de sa correspondance, Léon Martin exprime sa nostalgie avec des mots puissants. L'expression poétique est particulièrement tangible lors de ses remémorations (NOTE 5). Dans sa dernière lettre, écrite le 23 janvier 1905, il le répète encore : « Je vous assure que ce serait avec beaucoup de plaisir au contraire que je retournerais. Ce n'est pas que je m'ennuie ici mais cependant on n'oublie jamais là où on est né et bien que ce pays ait ses défauts, on y tient quand même. » Très souvent, au détour d'une phrase, il se projette de nouveau là-bas, en train de se reposer sous les noyers qu'il a plantés avant de partir. Il imagine qu'il retourne au collège, qu'il va faire « quelques bonnes parties de chasse au lièvre dans la neige ou aux grives le jeudi, quand il n'y a pas classe ». Léon Martin est très angoissé à l'idée que ses souvenirs s'estompent. Il ressent le besoin impérieux de se raccrocher à des images précises, familières, et encourage avec insistance ses correspondants à lui décrire le menu détail de leur vie. Grâce aux petites choses de la vie quotidienne, « il [lui] semble alors [qu'il a] sous les yeux cette écurie; le cheval au fond, les vaches au bout. »

 

L'amour des siens

Les sentiments qu'il exprime à l'égard de ses parents sont réservés. Mais l'amour qu'il leur porte se lit à plusieurs indices. L'argent, notamment, sujet permanent de discussion, est un témoignage d'affection. Léon les supplie de prendre soin d'eux, d'être prudents. Il espère les revoir un jour. Il les assure de son soutien dans l'avenir dans toutes ses lettres. Le père de Léon est vraisemblablement moins à l'aise que sa mère, sa sœur ou son frère pour écrire. Ce silence agace un peu Léon, qui n'hésite pas à réclamer davantage d'attentions paternelles. Mais son père n'est pas insensible au désarroi de son fils et prend conscience des sacrifices qu'il est obligé de faire pour eux. Aussi, les rares mots qu'il trace sur le papier ont une très grande charge émotionnelle : « Papa dit qu'il ne veut pas que je souffre, mais que veut-il dire par là? Croit-il que je souffre tant que cela... non... » On le sent ému, comme en témoignent les points de suspension avant et après le « non »  qu'il répond aux inquiétudes de son père.

 

Le rythme des saisons,  la beauté des paysages

Les saisons et les paysages qui leur sont associés sont décrits avec beaucoup de finesse et donnent lieu à l'évocation de nombreuses scènes bucoliques : un tas de blé dans la grange, le lait que l'on porte en ville, le tilleul que l'on cueille, les violettes en montagne, le bois que l'on rentre pour affronter l'hiver. Au Mexique, Léon est toujours enfermé! Le rythme des saisons lui manque : « Je ne me souviens seulement plus bien des travaux de chaque époque, comme il ne fait presque pas froid ici, il me semble qu'il ne doit pas tomber de la neige à Bette. » L'arrivée du printemps est l'occasion de touches poétiques : « Nous voilà au 25 janvier [1903] et je ne m'en suis pas aperçu. Je n'ai pas senti le froid et je ne me croirai pas en hiver. Bientôt, vous serez au printemps. Vous verrez de nouveau votre belle campagne prendre son manteau vert parsemé de fleurs, ici, je verrai quoi? Toujours la même chose. » 

Lettre du 30 août 1904. « Les raviolis »

L'été est aussi l'occasion d'imaginer les retrouvailles familiales, une tradition toujours très vivace dans la vallée de l'Ubaye, où s'est tenu, en 2002, un rassemblement généalogique qui fut baptisé les « retronvailles ». Dans le souvenir de Léon, ces retrouvailles estivales sont des moments précieux qui lui manquent. À l'occasion du passage de son frère Joseph, Léon revoit la scène : « J'ai été très content en pensant à vous tous réunis certainement autour d'un gros plat de raviolis (NOTE 6). Voilà deux ans que j'en ai plus mangé moi! Mais au moins, vous autres, mangez-les à ma santé. » De toutes les saisons, l'hiver semble être celle qu'il préfère. L'hiver est synonyme de « bonnes parties de chasse » et de « traîneaux », de repas « autour du calorifère » (du poêle), de la chaleur de l'écurie lors des veillées en famille ou entre voisins. On comprend entre les lignes que cette saison n'est peut-être pas aussi pénible qu'elle ne le paraît : « Vous allez donc commencer une période dure et pénible, et pendant des jours entiers vous serez blottis autour du poêle, c'est alors que vous aurez le temps de m'écrire plus longuement. »

 

La date du premier janvier

Une maison ubayenne. Vallon de Fours.

Noël et le Nouvel An sont souvent pour les expatriés des moments difficiles (NOTE 7). Pour Léon Martin, c'est l'occasion d'exprimer avec plus d'intensité encore le vœu d'être un jour à nouveau près des siens. Dans ses vœux, il énumère tour à tour les parents, les voisins, les amis. Il ne les « oublie pas », leur fait des « compliments », les « embrasse », une longue liste d'attentions affectueuses montrant la sociabilité chaleureuse des fêtes dont il est privé. Le 14 décembre 1904, alors que les évocations du pays se font plus rares, les quelques lignes de vœux qu'il adresse à son frère et à ses parents portent en elles une très grande intensité émotionnelle : « Oh ce premier Janvier, le voilà encore; comme le temps passe voilà encore une nouvelle année qui va commencer, comment sera-t-elle pour nous? [...] Surtout, ce que je voudrais moi, c'est que le sort nous favorisant davantage, et que nous puissions encore un jour nous trouver tous réunis, dans notre pauvre et humble et bien-aimée maison paternelle. »

La « maison paternelle » est au centre de toutes les évocations. Que ce soit à propos des animaux, du jardin, des arbres, du stockage du blé et du foin, des repas de famille, la maison est le cadre de tous les retours imaginaires. L'importance de la « maison du père » en Provence (où la tradition veut que l'on préserve coûte que coûte l'intégrité du domaine en transmettant la maison et les terres à un seul fils héritier) renforce l'allusion.

 

L'intimité familiale, l'oubli, la redécouverte

Des malles dans une grange à foin en Ubaye

Ces quelques extraits de lettres montrent combien l'expression nostalgique est une pierre angulaire de la mémoire. Si les lettres de Léon Martin sont toujours lues, si elles ont été maintes fois rééditées et commentées après avoir dormi 80 ans dans la grange de la maison familiale en Ubaye, c'est de toute évidence parce qu'elles relèvent du domaine de l'affectif et de l'évocation poétique. Ce patrimoine épistolaire participe, par la force des évocations du « pays perdu », à la construction du souvenir et à la transmission de la mémoire. Le fait que les lettres soient « vibrantes » et « vivantes » a sans doute contribué à ce qu'elles soient choyées et conservées de génération en génération.

La mère de Léon les aura d'abord mises en sûreté dans sa chambre à coucher, dans une armoire ou une commode (NOTE 8). À la génération suivante, les lettres ont été placées dans un grenier. Ce n'est que dans les années 1970 que la maison fut de nouveau habitée. En effet, le frère de Léon Martin, fonctionnaire, occupa plusieurs postes dans différentes villes de France (Draguignan, Grenoble...). Sa jeune sœur mourut jeune. Lorsque Horthense et Ferdinand (les parents) décédèrent, la maison ferma ses portes...

 

La mise en patrimoine

« Partie de Lyonnaise » à México, Cousins d’Amérique

Suivant une tendance assez fréquente (les associations de sauvegarde du patrimoine commençant à se multiplier dans les années 1980), l'arrière-petit-neveu de Léon Martin a ressenti le désir de publier ces lettres au début des années 1980. D'autres initiatives ont vu le jour pour mettre en valeur cette histoire « mexicaine » méconnue (NOTE 9). Côté français, trente ans après les derniers départs vers l'Amérique, en 1985 et 1988, la Sabença de la Valeia (association culturelle) et l'Escola de la Valeia (groupe régionaliste) organisent successivement des voyages au Mexique. Dans les années 1990, de grands rassemblements patronymiques sont organisés (NOTE 10). En 1992, la photographe Jacqueline Colde se voit confier par le musée de la vallée de Barcelonnette une mission de six mois à la « rencontre des cousins d'Amérique ». En 1993, Seola Arnaud Edwards, descendante à la sixième génération de Jacques Arnaud (un personnage marquant de l'émigration), vient en Ubaye. Deux ans plus tard, en octobre 1995, on assiste au Jumelage de Jausiers (berceau de la famille de Jacques Arnaud) avec Arnaud Ville en Louisiane, bourgade fondée à la disparition de l'entrepreneur. La ville de Barcelonnette, quant à elle, se jumelle en novembre 2004 avec une ville du Mexique (Valle de Bravo)...

Au Mexique, le sursaut patrimonial est plus récent. L'association Racines françaises est créée en 2003 et milite activement pour la collecte et la conservation des archives de l'immigration française. Elle a pour ambition de rassembler la communauté française autour d'un projet identitaire, en publiant un bulletin, en animant des soirées et des conférences, en organisant des ventes aux enchères et des expositions. Le Museo comunitario de Ciudad est inauguré à Mendoza (Mexique) le 28 avril 2008. Le parcours muséographique débute par l'évocation de la vallée de l'Ubaye. On y découvre, « émus », écrit Hélène Homps-Brousse, les crêtes et les sommets alpins, la rue Manuel de Barcelonnette au siècle dernier, des registres rédigés en français qui portent la signature d'Alexandre Reynaud, les « images trophées » du patrimoine industriel ubayen (NOTE 11). Même énergie du côté des universitaires. Les colloques (NOTE 12), les séminaires, les recherches doctorales se multiplient (NOTE 13). Longtemps très discrets, les descendants de la Colonia francesa expriment aujourd'hui, d'une manière plus marquée, leur appartenance à leur terre d'origine (NOTE 14).

La mémoire de l'émigration, en Ubaye comme au Mexique, est devenue un enjeu patrimonial. Comme l'écrit Bernardo Garcia Diaz, « La mémoire n'est pas seulement un support nostalgique mais elle est aussi la source d'un continuel renouvellement »  (cité par Hélène Homps)  (NOTE 15). Les souvenirs de Léon, la précision de ses évocations, la poésie de ses remémorations, forment un pont entre les deux rives et permettent aux descendants, aujourd'hui, et dans les deux sens, de refaire le chemin à l'envers.



Valérie Feschet 
Docteur en ethnologie
Institut d'ethnologie de l'Europe et de la Méditerranée
Maison méditerranéenne des Sciences de l'Homme
Aix-en-Provence

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Feschet, Valérie, Les papiers de famille : une ethnologie de l'écriture, de la mémoire et des sentiments en Provence alpine, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 1998, 245 p.

Feschet, Valérie, « Textes et contextes : les lieux de la mémoire dans les maisons ubayennes », dans Philippe Artières (dir.), Lieux d'archive, numéro thématique de Sociétés et représentations, no 19, avril 2005, p. 15-32.

Feschet, Valérie, « “Ce n’est pas que je m’ennuie ici” : évocations nostalgiques et désirs de retour au “pays” dans la correspondance de Léon Martin, “Barcelonnette” au Mexique (1902-1905) », communication présentée au 133e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Migrations, transferts et échanges de part et d’autre de l’Atlantique : Europe, Canada, Amérique, Québec, 2-7 juin 2008.

Gamboa Ojeda, Leticia, « De desdenes y añoranzas. Los espacios en las cartas de un empleado Barcelonnette en México : León Martin, 1902-1905 », Nuevo Mundo, Mundos Nuevos [en ligne], 2008, http://nuevomundo.revues.org/index14332.html.

Homps, Hélène, Les demoiselles Reynaud : paysages, portraits et caricatures de Barcelonnette (1914-1967), catalogue d'exposition, Barcelonnette (France), Musée de la Vallée, 1991, 139 p.

Homps-Brousse, Hélène, Villas en Ubaye : retour du Mexique, Aix-en-Provence, Association pour le patrimoine de Provence, 2002, 72 p.

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Martin-Charpenel, Pierre, « Léon Martin au Mexique : lettres (1902-1905) », dans Pierre Martin-Charpenel (dir.), Les Barcelonnettes au Mexique : récits et témoignages, 4e éd., Barcelonnette (France), Sabença de la Valeia, 2004 [1986], p. 73-91.

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Paredes, Armando, Le « Français » comme immigré dans le Mexique progressiste de l'entre-deux-siècles (1850-1950) : mémoire et identité franco-mexicaines, thèse de doctorat, Université Paris 8–Saint-Denis, Paris, 2011.

NOTES

1. Si d’autres régions de France (la Savoie, le Briançonnais…) et d’autres pays francophones comme la Belgique et la Suisse sont aussi concernés par cette immigration, l’ensemble des immigrants francophones furent rapidement désignés par le terme de « Barcelonnettes ». Voir, à ce propos, Armando Paredes, « L’immigration des “Français” dans l’Amérique mexicaine : insertion, intégration, assimilation? », communication présentée au 133e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Migrations, transferts et échanges de part et d’autre de l’Atlantique : Europe, Canada, Amérique, Québec, 2-7 juin 2008.

2. Les chiffres concernant la Colonia francesa du Mexique à la fin du XIXe siècle sont assez variables selon les auteurs. Les recensements modernes font état de 3 897 Français au Mexique en 1895. Voir, à ce sujet, Leticia Gamboa Ojeda, « Bonnes pages : tissus? ou mines d’argent? », dans Pierre Martin-Charpenel (dir.), Les Barcelonnettes au Mexique : récits et témoignages, 4e éd., Barcelonnette (France), Sabença de la Valeia, 2004 [1986], p. 195-196. Selon l’association Racines françaises au Mexique, 15 000 Français sont actuellement enregistrés au Consulat de France au Mexique, mais on estime que le nombre de leurs compatriotes non inscrits est équivalent à ce chiffre. Selon le Centre de la francophonie des Amériques, il y aurait aujourd’hui un peu plus de 200 000 personnes comprenant ou parlant le français au Mexique.

3. Les lettres de Léon Martin ont été présentées par Pierre Martin-Charpenel dans un ouvrage intitulé Les Barcelonnettes au Mexique : récits et témoignages. L’auteur insiste dans son article sur l’évocation du voyage, les conditions de travail, les difficultés financières et le salaire de Léon Martin. Je propose ici de focaliser l’analyse sur l’expression des sentiments nostalgiques, qui me semble être la pierre angulaire de l’édifice de la mémoire et de sa mise en patrimoine. Cet ouvrage, édité par la Sabença de la Valeia et les Amis du musée de la Vallée, deux structures associatives œuvrant pour la mémoire locale, en est à sa quatrième édition (la première datant de 1986). Léon Martin, comme d’autres personnages (François Arnaud, Anselme et Yvonne Charpenel, Jacques Arnaud…), fait désormais partie du patrimoine de cette immigration « à attache » entre la France et le Mexique.

4. Léon Martin est décédé d'une crise d'appendicite. Il a été enterré au cimetière français de Mexico, géré par la Société française, belge et suisse de bienfaisance de Mexico.

5. Au sens strict, l’expression poétique s’accompagne de formules relevant d’une rhétorique particulière, plus imagée, phonétiquement plus harmonieuse, cherchant à traduire les émotions de celui qui s’exprime.

6. Je pense que ce sont des « ravioles », selon l’expression contemporaine, c’est-à-dire des raviolis farcis avec de la purée de pomme de terre et des oignons frits. L’Ubaye étant une région frontalière avec l’Italie (la vallée de Cuneo par le col de Larche), on y trouve une tradition culinaire de pâtes faites à la main qui participe de l’identité locale.

7. En lisant les lettres de Léon Martin, bien que relevant d’une prose ordinaire, je n’ai pu m’empêcher de faire le lien avec un poème en vers de Vincenzo Ancona (né en Sicile en avril 1915), écrit dans le contexte de l’immigration italienne à New York. Ce poème composé lors de sa première année aux États-Unis, intitulé « The Tongue is Ever Turning to the Aching Tooth », montre l’intensité de la déchirure ressentie par les migrants lors de ces moments traditionnels de rassemblement familial. Voir Vincenzo Ancona, Malidittu la Lingua, Damned Language : Poetry and Miniatures, éd. par Anna L. Chairetakis et Joseph Sciorra, trad. par Gaetano Cipolla, New York, Legas, 1990, 211 p.

8. Voir Valérie Feschet, Les papiers de famille : une ethnologie de l'écriture, de la mémoire et des sentiments en Provence alpine, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 1998, 245 p.; et id., « Textes et contextes : les lieux de la mémoire dans les maisons ubayennes », dans Philippe Artières (dir.), Lieux d'archive, numéro thématique de Sociétés et représentations, no 19, avril 2005, p. 15-32.

9. Voir Hélène Homps-Brousse, « Regards croisés sur l’émigration ubayenne des origines du mouvement à nos jours (1850-2004) », dans Pierre Martin-Charpenel (dir.),  Les Barcelonnettes au Mexique, p. 166-181.

10. En mai 2002, Jean-Pierre Proal et son cousin Philippe Henri Deniaud ont organisé les « reTronvailles » pour réunir l’importante famille issue de Louis Fabien-Tron et de Marguerite Joséphine Caire. Pour les descendants mexicains issus de l’émigration, ce fut l’occasion de découvrir la vallée de leurs ancêtres. Voir Hélène Homps-Brousse, ibid.

11. Ces deux musées sont implantés dans des lieux emblématiques de cette émigration : la villa La Sapinière à Barcelonnette et la fabrique de textile de Santa Rosa, toujours en activité, au Mexique. Situé dans les anciens ateliers de la fabrique (las antiguas bodegas), un lieu chargé d’histoire dont les murs ont été les témoins d’un épisode sanglant de l’histoire de Santa Rosa (la fusillade du 8 mars 1913), le nouveau musée raconte la longue histoire de la fabrique et sa place dans le patrimoine industriel de la vallée ouvrière d’Orizaba. En outre, ces deux bâtiments ont une histoire étroitement liée. Alexandre Reynaud (1840-1913), ancien négociant au Mexique, originaire de Saint-Paul sur Ubaye, n’hésita pas à vendre La Sapinière (qui abrite aujourd’hui le musée de la Vallée de Barcelonnette), sa villa édifiée 15 ans plus tôt, pour financer, au Mexique, la construction de la fabrique de textile dans la vallée d’Orizaba. Voir Hélène Homps-Brousse, ibid.

12. Lors du VIe colloque franco-mexicain, le professeur Leticia Gamboa Ojeda de l'Instituto de Ciencias Sociales y Humanidades de l'Université autonome de Puebla a présenté une communication sur Léon Martin. Voir Leticia Gamboa Ojeda, « Lettres d'un Barcelonnette : le cas de Léon Martin », communication présentée au VIe Colloque international México-Francia, Migrations et sensibilités : les Français au Mexique, XVIIIe-XXIe siècles, Nantes, 19-21 novembre 2007.

13. Armando Paredes, par exemple, travaille actuellement sur la mexicanisation des Français et le maintien des sentiments identitaires. Les descendants de la Colonia francesa expriment aujourd’hui, d’une manière ostentatoire, leur appartenance à leur terre d’origine (la France). Un intérêt nouveau se porte également sur le « patrimoine monumental » commandité par les Français (les banques, les grands magasins, les fabriques et les villas). Voir, à ce propos, le travail d’Hélène Homps-Brousse sur les villas mexicaines à Barcelonnette.

14. Armando Paredes, loc. cit.

15. « La memoria no sea solamente un recurso de la nostalgia, sino tambien un estimulo para una cintinua rénovacion » (Bernardo Garcia Diaz).

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